La Charte du peuple kanak

Bilan et perspectives des institutions coutumières et des politiques publiques kanak

Le Sénat coutumier a publié un document intitulé « RAPPORT SUR LES INSTITUTIONS COUTUMIERES _ EVOLUTIONS ET PERSPECTIVES 1988 – 2018 »

Son introduction expose ainsi les objectifs d’un tel document :

Il y a 26 ans étaient reconnus la légitimité coutumière avec la mise en place du conseil coutumier territorial et des 8 conseils d’aires. Dix années après en 1998, cette démarche était confirmée avec la création du sénat coutumier dans l’Accord de Nouméa.

Cinq années après le bilan 2010, nous pouvons retenir que le travail accompli par la 3ème mandature a permis d’élever à un niveau supérieur, l’identité kanak et la coutume.

En effet, après l’adoption et la proclamation de la CHARTE DU PEUPLE.  nous pouvons affirmer qu’il est désormais possible de construire le DESTIN COMMUN sur la base d’une véritable reconnaissance du Kanak, de sa civilisation, de son système de valeurs.

En 2014, la CHARTE a été présentée aux hautes autorités républicaines de la Nouvelle Calédonie, de l’Etat Français ainsi que les politiques publiques de l’Identité Kanak qui ont vocation à s’intégrer dans une nouvelle génération de contrats de plan des politiques publiques de la Nouvelle Calédonie.

A chaque fin de mandature, il est nécessaire de faire une évaluation du chemin parcouru pour pouvoir éclairer les perspectives et cela est d’autant plus important que nous sommes à 5 ans du terme des 20 ans de l’Accord de Nouméa.

En 25 années si on prend pour référence la création des conseils coutumiers en 1989 - 1ère reconnaissance institutionnelle de la légitimité coutumière - les conseils coutumiers et le sénat d’une part et d’autre part les autorités coutumières (clans, chefferies), ont évolué en essayant de faire face aux enjeux actuels d’un monde qui avance trop vite et qui souvent embrouille le monde coutumier d’autant mieux que les institutions coutumières sont restés les parents pauvres des institutions de la Nouvelle Calédonie et n’ont pas eu les moyens de surmonter définitivement les traumatismes hérités du passé.

« Evaluer le chemin parcouru », cela suppose que tout d’abord nous indiquions d’où nous venons et le cadre institutionnel dans lequel nous avons évolué jusqu’à l’Accord de Nouméa.

La Charte du Peuple Kanak

La Charte du Peuple Kanak, portée par le Sénat coutumier, a été proclamée le 26 avril 2014.

La « Charte du Peuple kanak -Socle commun des valeurs et principes fondamentaux de la civilisation kanak » a été créée, validée et signée par les autorités des huit aires coutumières de Nouvelle-Calédonie.

Elle est le résultat d’une année de travail intense, mené dans le cadre du chantier sur le Socle commun des valeurs kanak (SCVK), sur le terrain et en collaboration avec l’ensemble des autorités coutumières.

Il s’agit d’un document historique et fondateur.

  • Il s’agit du premier texte où le peuple kanak, réuni en Assemblée du peuple kanak, utilise clairement le « nous » et fait la preuve de son unité.
  • Cette Charte créé un cadre juridique pour la reconnaissance du peuple kanak.
    A ce titre, il peut être perçu comme aussi fondateur que le Traité de Waitangi pour les Maoris ou la Proclamation royale de 1763 pour les Amérindiens ; mais avec une différence essentielle : il émane d’un peuple autochtone qui garantit lui-même ses droits et défend ses valeurs coutumières.
  • La Charte synthétise l’ensemble des valeurs kanak et des principes fondamentaux de cette civilisation.
    A ce titre et dans l’éventualité d’une Constitution calédonienne, elle pourrait trouver sa place aux côtés de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, dont elle pourrait devenir l’une des composantes.
  • La Charte assoit le Droit Coutumier kanak dans le champ juridique de la Nouvelle Calédonie et de l’Etat.
    Elle est le fondement d’un système juridique de droit coutumier qui pourra coexister, avec des passerelles, avec le système juridique de droit commun. Elle ouvre également la voie au dialogue avec les institutions calédoniennes en matière de mise en œuvre des politiques publiques kanak.
  • Elle permettra également de donner des repères clairs à la jeunesse et d’offrir des références à la société calédonienne afin d’élaborer une nouvelle vision de la société à construire.

Contenu de la charte

La Charte du Peuple kanak porte en sous-titre la mention « Socle commun des valeurs et principes fondamentaux de la civilisation kanak ».

Elle est composée d’un :

  • MEMOIRE
    Rappelant que le peuple kanak est le peuple autochtone de Nouvelle-Calédonie et retraçant à grands traits son histoire

  • PREAMBULE
    Insistant sur les particularités historiques liées à l’identité kanak.

Elle se divise ensuite en chapitres :

  • CHAPITRE I : VALEURS FONDAMENTALES DE LA CIVILISATION KANAK

    Extraits : 1) La VIE est sacrée. Le SANG, source de la vie qui coule dans les veines d’un individu, provient de l’ONCLE MATERNEL à qui il confère la responsabilité de le suivre et de veiller sur son parcours de la naissance à la mort.
    6) LE DISCOURS GENEALOGIQUE traduit l’histoire des clans dans le temps et dans l’espace. Il est récité dans des conditions spécifiques par les dépositaires de cette parole par définition immuable.

  • CHAPITRE II : PRINCIPES GENERAUX DE LA CIVILSATION KANAK

      Section préliminaire : LA PAROLE DE LA CASE ou PAROLE DES VIEUX AUX  PIEDS DES SAPINS et DES COCOTIERS
      Section 2 : DE L’ORGANISATION SOCIALE :

     1. DES STRUCTURES COUTUMIERES ET DE L’INDIVIDU
Extrait : 1. La Parole issue de l’Esprit de l’Ancêtre fonde le clan sur un territoire donné où il plante son tertre clanique. Le rapport qui lie un clan/son ancêtre-esprit à un espace naturel donné marque intrinsèquement l’identité propre d’un clan et des individus qui le composent.
     2. DE LA PAROLE
Extrait : 1. La Parole Kanak est d’abord la parole spirituelle et sacrée née de l’Ancêtre et qui arrive dans le visible avec la mission première d’organiser l’espace et d’établir des relations. C’est aussi elle qui fait naître en soi la conscience d’exister et d’occuper un espace défini.
     3. DE L’ORGANISATION SOCIALE ET DES CHEFFERIES

  Section 3 : DU CYCLE DE LA VIE ET DE LA PERSONNE :
Extrait : 3. Les droits individuels s’expriment dans les droits collectifs du groupe (famille/clan). C’est parce que la personne est reconnue dans sa famille et dans son clan qu’elle peut s’épanouir dans la société.

  Section 4 : DES TERRES ET DES RESSOURCES
     1. DES DROITS FONCIERS
     2. DE LA SOUVERAINETE SUR LA NATURE ET LES RESSOURCES
Extrait : 4. La terre fait partie d’abord d’un patrimoine culturel avant d’être un levier économique.
     3 DES SAVOIRS TRADITIONNELS

  Section 5 : DE LA CULTURE et DE l’EDUCATION
Extrait : 2. Les langues et la culture sont les vecteurs et l’expression de la Civilisation Kanak, de sa philosophie et de sa Coutume. La diversité des langues traduit la richesse de cette culture. C’est un patrimoine unique qui ne peut disparaître et les membres de chaque clan dépositaire de cet héritage ainsi que le Peuple Kanak dans son entier en sont les garants.

  Section 6 : DES CONFLITS ET DES JURIDICTIONS
Extrait : 1. La gestion des conflits entre autochtones ou concernant les terres coutumières relève d’abord de la compétence des autorités coutumières qui doivent instaurer des outils de médiation coutumière au niveau du clan et au niveau de la chefferie avant que ne soient saisies les juridictions civiles coutumières ou de droit commun.

  Section 7 : DES RELATIONS AVEC LES AUTRES PEUPLES

  • CHAPITRE III EXERCICE DU DROIT A L’AUTODETERMINATION DU PEUPLE KANAK
    Extraits : 1. La souveraineté du Peuple Kanak est inhérente et la maîtrise de sa propre destinée relève de ses Droits Naturels et Imprescriptibles.
    2. La souveraineté du Peuple Kanak émane de l’autorité de toutes les chefferies considérées dans leur ensemble.

Le document publié par le Sénat trace également les perspectives des politiques publiques kanak, dans un chapitre intitulé « Champs des politiques publiques et plan d’actions ».

Les champs des politiques publiques dans lequel s’inscrit le plan d’actions sont au nombre de trois.

(Les travaux références sont : la situation du peuple kanak et le rapport de James Anaya ANAYA, le grand palabre de 1995, le rapport sur la jeunesse, le rapport sur le foncier, le rapport sur les institutions coutumières administration de 2009, la Charte et la synthèse finale de décembre 2013)

CHAMP I-) Le peuple autochtone Kanak- clans, chefferies, districts et assemblée du peuple kanak

Action 1 PPIK-) - La politique de réconciliation et de réhabilitation mémorielle

Action2-PPIK) - COMMUNICATIONS –INFORMATIONS -

Action 3-PPIK) - La restructuration des autorités coutumières et la légitimité coutumière

Action 4-PPIK) - La jeunesse Kanak

Action 5- PPIK) – L’évolution des pratiques et des us et coutumes

Action 6-PPIK) - développement économique social

Action 7-PPIK) - La coopération avec les peuples frères de la Mélanésie, de la Polynésie et du monde

CHAMP II-) La gouvernance, le droit coutumier et le pluralisme juridique au niveau institutionnel –

Action 8-PPIK)-La réforme de administration des affaires coutumières

Action 9-PPIK) - La gouvernance et la place de la légitimité coutumière dans la gestion des affaires du pays. Relations Chefferies/communes et provinces.

Action 10-PPIK-) Les politiques juridiques et l’organisation judiciaire et juridictionnelle

CHAMP III-) Les Terres et les Ressources & Culture, langues et éducation

A) Les Politique des Ressources Naturelles, de gestion des terres, protection des savoirs traditionnelles et de la biodiversité

Action 11-PPIK)- Les Terres

Action 12-PPIK) La protection des savoirs traditionnels et des ressources des pays kanaks

B- Les politiques culturelles, identitaires et d’éducation

Action 13-PPIK) - Les langues et l’enseignement

Action 14-PPIK) – La formation et l’emploi- le rééquilibrage au niveau de la prise de responsabilité par les autochtones kanak

a) Au niveau sociétal, il y a un chantier énorme, gigantesque à réaliser, dans un délai très court !

En partant de son approche sociétale globalisante et en écho à ce qui se juge dans les juridictions coutumières, le sénat coutumier soulève les interrogations suivantes : mais où en est le droit coutumier kanak aujourd’hui ? Car il y a un droit oral mais ce droit est en train d’être écrit à ce niveau avec les jurisprudences de la juridiction coutumière, qu’il s’agisse du statut des enfants, des familles et des héritages.

Par ailleurs, le droit n’est intéressant que si le peuple kanak s’organise pour se structurer et se prendre en charge pour mieux l’appliquer.

C’est le travail fourni par les institutions coutumières, pour traiter les questions, les problèmes et clarifier ce que le monde coutumier veut pour ses enfants et son pays.

b) Il faut en permanence insuffler une dynamique positive et valorisante !

Les différents Congrès du pays kanak, de Mouli en août 2009, de Belep en 2008 ou de Canala en 2007, ont à juste titre affirmé au vu des dits enjeux de société et des attentes de la très forte et jeune population autochtone, que la question des moyens devient cruciale et doit être résolue pour pouvoir aller plus vite et plus loin en référence à ce qui a été fait durant les 10 premières années de l’Accord de Nouméa.

Cela passe par l’autonomie de gestion qui doit être reconnue aux Sénat et Conseils Coutumiers. Le Sénat Coutumier, deuxième institution de la Nouvelle Calédonie selon la loi organique doit pouvoir gérer ses moyens budgétaires, ses opérations, nommer aux emplois, d’une manière indépendante et ne pouvoir rendre compte que sur le plan de la légalité de ses actes.

Il doit y avoir une seule administration pour les institutions coutumières et tout ce qui relève de l’identité kanak. Elle doit être centralisée pour permettre une plus grande solidarité et un fonctionnement homogène et efficace sur l’ensemble du pays.

Elle doit être centralisée pour permettre de répondre collectivement aux nombreux défis et enjeux, parmi lesquels, les questions de la restructuration des clans et chefferies, la gestion du cadastre coutumier et des terres, les actes coutumiers, les conflits en milieu coutumier, les questions portant sur la place des jeunes et des femmes.

Elle doit être centralisée pour permettre de développer de vraies synergies avec les autres institutions.

c) Inscrire dans un processus d’émancipation instaurant une démocratie participative et la nouvelle gouvernance

Nous pensons en premier lieu que la prise en compte effective des institutions coutumières prévues par l’accord de Nouméa, est le passage obligé pour aller plus loin dans la démocratie participative et dans la démocratie tout court dans un contexte de décolonisation ou post colonial.

En d’autres termes, cette démarche permettra de clarifier et de repositionner l’existant par rapport à 100 années d’histoire qui a laissé des traces ou des traumatismes profondes, qu’aucun peuple n’a réussi à surmonter en deux décennies. Sur l’échelle de l’accord de Nouméa, il a été et il reste difficile de résorber ces traumatismes du passé tout en responsabilisant les autorités coutumières dans le traitement des grands problèmes de société. Cela relève d’un manque probant de volontarisme politique.

Pour les coutumiers, la démocratie participative et décolonisée comprend la démocratie issue des urnes et la prise en compte de la légitimité coutumière lié à la terre, à l’espace et aux droits collectifs.

Une autre voie s’est ouverte dans le monde depuis 1992 et le sommet de RIO qui prône la mise en place dans le monde du Développement durable s’appuyant sur la bonne gouvernance et une vraie démocratie participative. Cette démocratie participative (laquelle doit prendre en compte le peuple autochtone et toutes autres légitimités) se situe bien au-delà de la démocratie élective.

L’ONU dans ces travaux des 20 dernières années et dans toutes ces instances, a mis l’accent sur le rôle joué par les peuples premiers dans la conservation de l’humanité et de l’environnement.

d) Les engagements du monde coutumier au travers des institutions coutumières

Nous affirmons que les autorités coutumières ont bien compris et intégrés le rôle des institutions coutumières dévolu par l’ADN. Ils se sont inscrits comme une force de propositions convaincues de leurs droits historiques sur les terres et les ressources, sur leur statut civil coutumier. Ils connaissent leurs places et leurs rôles incontournables dans les politiques à mener en matière d’aménagement, de développement, de protection de l’environnement, sociale et sur le plan de l’éducation et de la place de la jeunesse. Ils entendent assumer ces droits et devoirs pour se confronter et participer activement aux règles de la société moderne. Ils sont prêts à cet exercice, pour faire évoluer le droit et l’écrire progressivement.

Les coutumiers n’ont jamais remis en cause la place et le rôle des politiques tel que définis par les accords de Nouméa.

Mais les coutumiers attendent en retour, une reconnaissance à tous les niveaux et une reconnaissance de leurs travaux qui doivent être pris en compte par les décideurs politiques. La mise en œuvre du Plan Marshall pour l’identité kanak s’inscrit dans cette démarche.

Lire l’intégralité du « RAPPORT SUR LES INSTITUTIONS COUTUMIERES EVOLUTIONS ET PERSPECTIVES 1988 – 2018 »